De nombreuses spéculations gravitent autour de la mort de Bégré et Jeannot Destin. Alors que leurs familles respectives n’ont jamais pu se recueillir sur leurs tombes depuis leur disparition en 2009. Dans une interview exclusive, l’Adjudant-chef Naby Issa Touré, un de leur codétenu, lève un coin du voile sur la mort cruelle de ses amis.
Lisez plutôt !
Depecheguinee.com : Merci de vous présenter à nous lecteurs !
Adjudant-chef Naby Issa Touré : Je suis l’Adjudant-chef Naby Issa Touré, dit Bankolé, commando chinois, ex-garde du Commandant Toumba Diakité en 2009.
Vous faisiez partie des éléments de la garde du Salon du Commandant Toumba Diakité en 2009. A ce titre, avez-vous participé aux événements du 28 septembre ?
Non ! Le jour de la marche du 28 septembre, le Commandant Aboubacar Sidiki Diakité avait laissé la consigne à tous ses éléments de ne pas bouger. Donc, nous étions tous en place . À partir de ma position j’ai vu Marcel et son équipage bouger pour sortir du camp. Et une heure après, nous avons vu le Commandant Toumba qui était couché, descendre. Il a pris sa voiture avec Foromo et ils sont partis. J’ai informé Jeannot Destin qui était le commandant du salon de Toumba, que le patron est sorti. On a ainsi pris une voiture pour le rattraper, mais on l’a pas vue. Puis, on s’est retourné.
Autant dire que vous n’avez pas été au stade…
Non ! On s’est limité à l’aéroport, pour ne pas le désobéir. Puis, on est retourné au camp.
Vous n’êtes pas en train de couvrir votre ex-patron par hasard ?
Non, pas du tout ! Je n’ai aucun intérêt à le couvrir ; à cause de lui, j’ai failli mourir Donc, je ne vais pas le couvrir. Aucun de nos éléments n’a bougé ce jour. Le patron est sorti avec Foromo. Et il est revenu avec lui.
On nous apprend que dans la nuit du 27 au 28 septembre 2009, l’ambiance était bon enfant à la Présidence, avec les nouvelles recrues de Kaleya. Le confirmez-vous ?
Oui, effectivement ! (…). Marcel avait commandé une camionnette de bières à la Sobragui. Donc, avec les jeunes recrues, nous avons bu jusqu’au petit matin.
Ces jeunes recrues de Kaleya étaient là pourquoi ?
Je ne saurai vous le dire avec exactitude. Ce qu’il faut savoir, quand on recrute un militaire, après la formation, on vous envoie au camp.
Mais on accuse ces jeunes d’avoir participé au massacre du 28 septembre ?
Je ne peux pas dire que c’est vrai tout comme je ne peux pas dire non plus que c’est faux. Mais j’ai remarqué que, dans la soirée du 28 septembre, il y avait plusieurs blessés parmi eux. Je ne sais pas où ils ont été blessés.
Alors pourquoi les événements du 3 vous à trouver à Kamsar ?
Depuis la prise du pouvoir par le CNDD le 23 décembre 2008 jusqu’en novembre 2009, Jeannot Destin, Commandant du salon de Toumba, n’avait jamais eu la permission d’aller voir ses parents. Et le 30 novembre 2009, il a bénéficié d’une permission d’aller rendre visite à sa maman qui était malade. Donc, nous avons bougé le 1er décembre pour l’accompagner à Kamsar où nous sommes rentrés vers 18 heures. Et notre départ pour Kamsar était officiel.
Expliquez-nous les circonstances de votre arrestation à Kamsar.
Quand Toumba a tiré sur Dadis le 3 décembre 2009 au Camp Koundara, la chasse à l’homme des éléments de Toumba a commencé. Comme notre présence à Kamsar était connue, Crand Co, (Colonel Claude Pivi) a instruit au commandant du camp militaire de Boké de nous arrêter. Nous avons été informés vers 19 heures que Toumba avait tiré sur le président. Et le lendemain vendredi 4 décembre, dans les environs de 6 heures du matin, plusieurs pick-up remplis de militaires ont fait une descente chez les parents de Jeannot Destin. On nous a arrêté et conduit au Camp d’infanterie de Boké.
Est-ce que vous avez été brutalisés ou torturés lors de votre arrestation et pendant votre détention au camp de Boké ?
Notre arrestation a été très brutale. Je ne sais pas quelle consigne qui a été donnée à l’unité qui était venue nous arrêter, mais on a été attaché comme des fagots de bois pour nous mettre dans les pick up. Direction : Camp d’infanterie de Boké, alors qu’on n’avait pas résisté pendant notre arrestation, parce qu’on ne se reprochait de rien. C’était le début de descente aux enfers.
Vous êtes arrivé quand à Conakry ?
Nous sommes arrivés à Conakry le même jour, le vendredi 4 décembre 2009 dans les environs de 17 heures. On nous a mis à la disposition de Tamba Kalas qui était le commandant adjoint du camp Alpha Yaya à l’époque. On était tous menottés. Sur instruction de Grand Co, on nous a conduit aux 32 escaliers où ils nous a enlevé les menottes pour nous attacher sauvagement avant de nous jeter dans la prison en attendant que Grand Co n’arrive. C’est dans cette cellule que j’ai vu Mohamed Bégré et Lieutenant Fantamady Condé, l’ex commandant du Petit palais couchés par terre, bien ligotés ainsi que plusieurs autres militaires.
Qui vous a attachés ?
C’est le Commandant adjoint du Camp Alpha Yaya, Tamba Kalas lui-même .
Vous étiez au nombre de combien ?
On était au nombre de 10 personnes.
Pouvez-vous nous les citér ?
Il y avait l’Adjudant Jeannot Destin, le Sergent Böbö Azaglé, le Sergent Alsény Bah , le Caporal Antoine Millimono, le Sergent Pagal, le Caporal Mayalon, le Sergent Aboubacar Titi , le Caporal Vincent et moi-même, l’adjudant-chef Naby Issa Touré dit Bankolé,
Qu’est ce qu’on vous a reproché ?
Comme Toumba a tiré sur le président, on nous a dit que c’était un coup d’Etat. Donc, tous les gardes de corps et proches de Toumba sont impliqués. Alors qu’on n’était au courant de rien du tout .
Vous êtes restés pendant combien de jours attachés ?
Nous sommes restés attachés du vendredi au dimanche matin. Ça criait de douleur dans la cellule. Tout le monde pleurait, et d’autres même étaient déjà morts. Grand Co et Tamba Kalas ont apporté une nouvelle corde, parce que la corde de plusieurs d’entre nous s’était coupée. Ils ont demandé aux hommes de Tiegboro (les gendarmes qui étaient chefs de postes) de faire sortir ceux qui sont morts. Parce que pendant les 3 jours, beaucoup de nos amis sont morts. Ils nous ont détachés pour nous attacher de nouveau. On était presque tous paralysés. Personne ne sentait ses bras, la corde avait coupé les nerfs de la plupart d’entre nous.
On raconte que Jeannot Destin et Bégré sont morts en commando en cognant leur tête contre le mur jusqu’à mort s’en soit suivie…
C’est archi-faux ! Grand Co doit avoir peur de Dieu et dire la vérité pour une fois.
Alors comment Jeannot Destin et Bégré sont-ils morts ?
Le dimanche 6 décembre 2009, quand ils ont fini de changer nos cordes en nous attachant de nous, Grand Co a instruit au chef de poste d’envoyer Jeannot Destin, Bégré et moi. Il était assis sous le manguier avec Thomas et Jacques Mamy. Ils nous ont détachés. Ils nous ont demandé où se trouvait Toumba et quelles sont les personnes impliquées dans la tentative d’assassinat contre le président Dadis. On avait la gorge sèche et on était très affaiblis, parce que du vendredi au dimanche on n’a pas eu à manger, ni à boire. Grand Co avait les canettes d’eau près de lui. Il a dit à Thomas de nous donner à boire. On était tous paralysés. Personne ne pouvait prendre les petites canettes d’eau minérale. Thomas a ouvert une canette, on a ouvert nos bouches pour recevoir un peu d’eau, mais il le versait sur nos visages et on se contentait du peu qui descendait dans notre bouche. Après Thomas a attaché Jeannot Destin et Bégré, avec la méthode que les commandos chinois appellent “la dernière attache chinoise”. Avec cette attache, personne ne peut tenir plus de 30 minutes sans perdre la vie. On attache tes deux coudes derrière, on attache tes deux pieds et on tire tes pieds vers tes coudes, on fait passer la corde entre tes parties intimes pour enrouler sur ton coup. Et Thomas a pris le couteau pour enlever la peau de Jeannot et Bégré pour qu’ils crachent le morceau, dire où se cachait Toumba. Thomas et Jacques Mamy ont attaché Bégré aussi de la même méthode et ils les ont jetés dans la cellule. Ils m’ont aussi attaché simplement ils m’ont fait rentrer dans la cellule. La corde qui était autour du coup de Bégré était reliée à sa main et ses parties intimes, plus il faisait le mouvement, plus la corde serrait son cou. Finalement, il a été égorgé par la corde. Jeannot Destin aussi a succombé et le la nuit Thomas et Jacques Mamy sont venus chercher leurs corps. Donc, ils savent où ils les ont enterrés . Voilà comment Jeannot Destin et Bégré ont trouvé la mort.
Vous avez passé combien de temps aux 32 escaliers ?
Nous les survivants on était pas nombreux. On a passé 3 mois aux 32 escaliers. C’est au mois de mars, après notre audition par les hommes de Tiegboro que Tamba Gabriel est venu nous voir. Il nous a sensibilisés et nous a demandé pardon. En fin, il nous a libérés.
Parmi les 10 éléments avec qui vous avez été arrêté à Kamsar, quels sont ceux qui sont morts en détention aux 32 escaliers ?
Jeannot Destin, Alsény Bah, Mayalon, Pagale, Böbö Azaglé. D’autres aussi sont morts après leur libération, avec l’effet de la torture.
Merci beaucoup !
C’est moi qui vous remercie.
L’interview réalisée par
Abdoul Latif Diallo
Journaliste d’investigation
Source :depecheguinee