Monsieur le Président,
L’histoire vous réservera sans doute une place unique. Non pas comme le bâtisseur d’une nation prospère, mais comme l’homme qui, avec un zèle inédit, a osé retourner les projecteurs sur ses propres rangs, traquant sans relâche les « brebis galeuses » de son propre camp.
Certes, cette lutte contre le détournement de deniers publics , bien que partielle et parfois théâtrale, mérite d’être saluée.
Mais, Monsieur le Président, ne dit-on pas que pour chasser un lion, il faut plus qu’un bâton ?
Permettez-moi donc de vous faire une suggestion , commencez par réformer la CRIEF. Oui, cette institution qui, à ce jour, ressemble plus à une scène de farce qu’à une arène judiciaire.
Vous le savez mieux que quiconque, Monsieur le Président, le délit économique n’est pas une affaire d’improvisation. C’est un art subtil, une science des failles et des détournements.
Comment alors confier ce chantier complexe à des gendarmes dépourvus des outils nécessaires ?
Des douaniers interrogés sur les procédures douanières par des gendarmes dépourvus de toute connaissance en matière de douane.
Un directeur des impôts auditionné au sujet d’un redressement fiscal par des gendarmes n’ayant aucune compétence en fiscalité, et ainsi de suite…
Imaginez un gendarme, armé de son stylo et de son bloc-notes, tentant d’interroger un expert-comptable habitué à manipuler les chiffres comme un magicien et ses cartes.
Que croyez-vous qu’il advienne de cet échange ? Une cacophonie d’incompréhensions, où l’accusé, hilare, se régale du spectacle.
Votre lutte a besoin d’une armée à la hauteur des enjeux , une structure hybride, où gendarmes, experts-comptables, auditeurs, et inspecteurs des impôts travailleraient main dans la main.
Ces derniers pourraient traquer les failles dans les bilans, remonter les flux financiers et offrir à la justice un dossier aussi solide qu’incontestable.
Quant à la CRIEF, Monsieur le Président, soyons sérieux. Une juridiction spécialisée, dites-vous ? Avec des magistrats qui parfois découvrent les bases de l’économie lors des procès ?
Les accusés eux-mêmes doivent se demander s’ils sont jugés ou simplement invités à un cours improvisé.
La CRIEF doit être composée d’experts-comptables, d’auditeurs et d’inspecteurs des impôts qui travaillent sans relâche, en analysant minutieusement les moindres détails pour détecter les failles liées aux détournements.
Par ailleurs, le président du tribunal devrait avoir comme assesseur des experts-comptables capables de lui fournir des questions techniques pertinentes, susceptibles de mettre les accusés en difficulté.
Les procureurs accompagnés de brigades d’experts capables de démêler les plus complexes montages financiers.
Sinon la CRIEF continuera à laver plus blanc que blanc, laissant les délinquants économiques filer entre les mailles d’un filet trop grossier.
Car, Monsieur le Président, un lion ne se chasse pas avec des bâtons, et la corruption ne se combat pas avec des approximations.
Vous avez l’occasion de marquer l’histoire, de transformer une lutte encore hésitante en une machine implacable.
Faites-le, et vous réussirez là où vos prédécesseurs ont échoué. Mais si vous persistez à confier des marteaux à ceux qui doivent sculpter des œuvres complexes, alors préparez-vous à voir vos promesses de justice s’effriter comme un château de sable sous la marée.
Abdoul Latif Diallo
Journaliste d’investigation